« Mon dossier a été accepté ? Sérieux ?! » Il n'en revenait pas, littéralement scotché de voir son nom sur cette fichue liste ! Il l'avait attendu durant des jours entiers, et même des semaines ! Il avait cru ne jamais apparaître dans l'une de ces colonnes. Et pourtant son nom figurait sur ce papier. Luis Frank Keppner – Admis. Il avait obtenu sa place en tant qu'interne. Il allait poursuivre ses études dans le centre hospitalier de son choix. Il avait décroché ce qu'il avait tant espéré, étant très bien classé parmi les nombreux postulants. « Hey oh ! Au boulot ! Bande de flemmards ! » Se réveillant en sursaut, Luis réalisa qu'il s'était endormi sur une chaise, non loin de la réception. De toute façon, dès qu'il faisait un break, il s'endormait sans même s'en apercevoir. C'était tellement épuisant... Les internes n'avaient aucun répit, aucune pause. Ils étaient un peu les esclaves de tout l'hôpital. Mais qu'importe, il se sentait bien ici. De plus, ça faisait du bien d'entendre des ''Dr. Keppner'' de temps en temps, et de lire la reconnaissance dans les yeux des patients.



« Attention, les titulaires nous surveillent... » Soit... Luis n'y prêtait que peu d'importance. Bien sûr l'avis de ces professionnels expérimentés comptaient pour lui. Il les savaient juges de ses actes. Seulement, il gardait en tête qu'il faisait correctement son boulot, avec sérieux et soin. De ce fait, s'il gardait confiance en lui, il n'avait pas à les craindre. Ils étaient là pour lui enseigner ces méthodes si délicates. Il était là pour apprendre. Il ne mettait pas la vie d'autrui en danger. Alors pourquoi faire attention ? Jusqu'à présent, il avait franchis les obstacles et passé étapes une à une. Il travaillait dur, et cela se voyait. Non seulement ses yeux clairs étaient souvent marqués de cernes violacées, il traînait des pieds, mais continuait d'avancer. « Keppner ! Au bloc ! Tout de suite ! » Attention qu'il disait ? Tu parles ! C'est avec un large sourire que le jeune homme abandonna ses collègues aux urgences, sortant de sa poche une brique de jus d'orange. Quelques gorgées, et il était d'attaque pour assister le chirurgien.


« Tu ne sais rien de ma vie, alors ferme-la ! » Peu de personne le connaissent réellement. Voir aucune d'ailleurs. Luis est quelqu'un de très mystérieux. Il ne parle jamais de lui, de son passé. Et lorsque le sujet est abordé, il s'empresse d'en changer, ou bien fuit carrément la conversation en s'éloignant. Le travail est la première excuse qu'il utilise pour se soustraire à une situation gênante ou encore à un semblant d'interrogatoire concernant son parcours et sa vie privée. Il n'aime pas en parler. Non pas parce qu'il en a honte, mais simplement parce qu'il n'a pas eu une vie très facile et qu'il refuse toute once de pitié à son égard. Il ne veut pas être traité différemment qu'un autre résident, sous prétexte qu'il a quelques failles personnelles. Il n'y a rien de mieux pour le mettre hors de lui. Les préjugés vont bon train le concernant... Passer pour le roi des prétentieux, pour un petit con hautain, ne lui fait pas peur. Ce sont les regards tristes en désolés qui l'effraient. Il n'est plus ce petit garçon issu d'un milieu modeste, qui a soutenu son cadet dans la maladie jusqu'au dernier instant. Il est un homme qui se bat pour ses convictions et qui aide son prochain. Point barre !


« Tu crois que tu pourrais m'aider ? » Elle lui lança un regard un peu gêné, jouant nerveusement avec son stylo. Luis ne disait rien, se contentant de soutenir son regard. Puis il avança sa main vers elle, s'empara de son bouquin tout en rapprochant dangereusement son visage du sien. L'interne ne bougeait plus, comme figée, attendant alors une quelconque sentence de sa part. Elle mourrait d'envie de sentir la pression de ses lèvres contre les siennes. Son souffle chaud caressait sa peau. Mais rien. Il n'en fit rien, et se recula, portant faussement son attention sur le dit paragraphe. « C'est facile... Tu vas voir... » Se penchant à nouveau vers elle, il étendit son bras de façon à récupérer le bloc note non loin d'elle. Elle lui tendit son stylo, avec un léger sourire sur ses lèvres rosées. Il commença alors à dessiner ce qui ressemblait plus ou moins à un cœur. Puis il détailla le tout, étoffant son schéma et l'agrémentant de ses commentaires et explications. Elle l'écoutait sagement, se rapprochant pourtant doucement en faisant mine de s'intéresser à ces gribouillons. L'un comme l'autre savaient qu'ils jouaient. « Et une fois emboîté, c'est censé fonctionner. » La jeune femme acquiesça d'un signe de tête, puis tourna légèrement cette dernière pour se retrouver à quelques centimètres du visage de son professeur de fortune. Ils restèrent ainsi quelques secondes à peine, plongeant mutuellement dans le regard de l'autre. Finalement se fut plus fort qu'eux, ils se jetèrent littéralement l'un sur l'autre. Ce soir là, dans la salle des internes, il lui fit l'amour deux fois.


« Ma garde est terminée. Je me casse. De toute façon, je suis nul, vous n'avez pas besoin de moi ! » Il venait de raccrocher, un sourire au coin des lèvres. Son sac sur l'épaule, prêt à passer le seuil des deux portes d'entrée de l'hôpital, il fit un signe au Dr. Connor. Cette dernière, titulaire en chirurgie pédiatrique et responsable de son cas, tenait dans sa main un portable. Elle avait essayé de le retenir. Elle avait souhaité l'avoir avec elle au bloc, mais il l'avait rembarré. Une chance pour lui que son service était bel et bien terminé, sans quoi elle aurait pu lui mener la vie dure. De toute façon, elle allait le faire. Elle ne perdait pas une occasion de lui faire des remarques, de lui filer le sale boulot, de littéralement lui en faire baver. Il le savait, alors il la provoquait. Il la défiait, et il s'en amusait. Oh oui, c'était drôle ! Luis avait toujours le mot pour la faire sortir de ses gonds. Elle pétait bien souvent un câble en sa compagnie. Le jeune homme s'en délectait, savourant cette douce tension qui ne cessait de croître entre eux. Aucun ne voulait le reconnaître, mais ils s'attiraient comme deux aimants. Si ce n'est pas en laissant sa place à un autre résident, il parvenait à ses fins en lui donnant rendez-vous en salle de repos, ou bien en lui glissant un mot sur son plateau à la cafétéria, en faisant des allusions douteuses en plein bloc sous le regard amusé ou outré des infirmières.